Il est entré dans ma vie, j'avais dix ans. Enfin, c'est dans la vie de ma maman qu'il a mis ses pieds ; et par ricochet, dans la mienne. Je l'ai aimé tout de suite, car je ressentais que ma mère était heureuse avec lui. Et puis il y avait de l'exotisme (!) : des parents divorcés, en 1987, ce n'était pas chose courante ; un weekend sur deux passés à Bordeaux, c'était grandiose ; et des tongs avec des chaussettes, c'était surprenant !!! Et puis, quatre ans et demi plus tard, nous avons formé une famille recomposée unie quotidiennement. J'étais la seule des quatre filles à vivre en non-stop dans cette grande maison, où nous avions chacune notre chambre. Lorsque je rentrais du lycée et lui du travail, nous mangions de concert des Petit Prince. Je ne me souviens plus si nous échangions sur notre journée ; j'imagine que oui, au moins un minimum ?! (Et si d'aventure nous n'échangions pas, je n'ai pas le souvenir d'avoir éprouvé une gène ou un agacement d'être en sa compagnie.) Il a vécu mon adolescence chaque jour !!! Il m'a expliqué la guerre du Viêt-Nam, et je me souviens que cela m'avait paru long, mais long (je m'étais d'ailleurs faite rabrouer par ma mère, qui devait estimer que j'avais été peu respectueuse à son endroit -oups !). Parce qu'il était comme ça : il savait tant de choses, et aimait tellement partager ses connaissances... sans se soucier de l'âge de son auditoire ; ) Il m'a vu devenir étudiante, et amoureuse, et dilettante. Ma mère et lui ont aidé mon futur mari, pour ses études. Il était là aussi pour aider financièrement à organiser notre mariage. Ce n'était pourtant pas mon père... Il a toujours suivi mes aventures, et mon parcours de vie. Sans jamais émettre un jugement (du moins, pas en ma présence !). Il m'a toujours prise telle que j'étais, sans remontrance : range ta chambre, participe davantage à la maison, stabilise toi dans tes études, stabilise toi dans ta vie amoureuse... Lorsque je suis revenue à Bordeaux pour travailler, il me déposait le matin à mon travail, avant de filer au sien. Il a été un grand-père formidable, moi qui me disais, avant de devenir mère, que mes futurs enfants n'auraient pas de grand-père maternel. Parce que des fois, rarement, j'avais l'impression qu'il pensait que les liens du sang prévalaient sur tout autre lien. Je m'étais trompée. Et à Castets, tout ce qu'il a pu faire : les figues ramassées pour en faire de délicieuses confitures ; les veilleuses champignons, toutes réparées ; une buanderie digne de ce nom ; la lumière sur la terrasse... Et les goûters auxquels il participait parfois, alors que huit enfants et des amies ça fait tellement de bruit ! Pour être avec nous, pour partager avec ma maman...
Une seule fois il m'a fait pleurer (non intentionnellement). En trente-sept ans, c'est très peu ! Parce que lui et ma mère s'étaient séparés. Il était venu me dire au revoir, et m'informer (tellement factuel !?!) que nous ne nous verrions plus. J'imagine que ce sont son éducation et sa peine qui l'ont poussé à agir ainsi. Je pleurais, et alors qu'il s'éloignait, j'ai murmuré un "mais moi je t'aime" (du bout des lèvres -car ce sont des mots si précieux à mes yeux que je les distille peu)...
"Henri est la seule figure masculine à avoir partagé ma vie pendant trente-sept ans. Et trente-sept années, cela donne matière à souvenirs et à sourires...
Les tartes aux poireaux à Gradignan et les virées sur les quais de Bordeaux, avec les quatre filles dans le coffre de la voiture } la maison de Fargues, pour notre famille recomposée } les tee-shirts Fruit of the loom et les marinières (pour ne pas parler des pulls aux jacquards improbables !) } le rhum de Noël et les tartes aux pommes } les articles de journaux photocopiés et les cartes Dromadaire pour l'anniversaires des enfants } les "râleries" et les regards malicieux } ses mains sur mes épaules pour me dire au revoir en souriant...
Henri était pour moi un merveilleux beau-père, qui avait su se glisser joliment dans son rôle.
Tu as contribué au chemin de ma vie Henri. J'ai appris lundi que tu n'étais pas immortel ; et tu vas terriblement nous manquer."
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